Un grand tour et s'en va....
20h. Le moment est venu de quitter ma chambre d'hôtel. Une petite musique m'appelle. Je traverse à pas pressés les quelques rues aux boutiques nauséabondes qui me séparent du théâtre. Le quartier n'a rien de charmant sauf à apprécier les jeunes filles en vitrine; ce n'est pas mon cas.
J'entre dans la salle conscient que je serai happé dans un tourbillon d'émotions dans les minutes qui viennent mais confiant, certain d'y ressentir ce qui rassure, d'y entendre ce qui apaise.
Dans le public, toujours aussi nombreux, une tête connue arpente les rangs, Violaine. Elle aura le plaisir de vivre Qu'on me pardonne dont elle est l'auteur, texte et musique. « Elle voulait la donner à J.H, mais je me suis battue et j'ai gagné » nous avertit Véro, qui par ailleurs souligne la présence de sa sœur dans les lieux . Fière de son coup (et on la comprend), elle se concentre et interprète la composition. Qui pourrait croire que l'on ait envie de l'oublier?
Cela fait déjà une petite quinzaine de minutes que le spectacle a débuté et l' "étourdi " d'hier, chargé des réglages-son réalise un sans faute. Que voulez vous « on n 'a pas assez d'argent pour avoir 2 sorties sons branchées en même temps » nous avait expliqué Véro hier après un petit moment de solitude à tapoter le micro de son piano, désespérément silencieux.
Ce soir, la voix chauffée par le concert de la veille se permet des modulations et des aiguës tout en finesse. Mehdi, fidèle au poste, et Stéphane Filet, arrivé quelques secondes après les premières notes de Je me fous de tout, accompagnent avec le talent qu'on leur connaît. Ils ne tiennent pas en place ces deux-là et tant mieux ! De pas de danse en notes suspendues, ils invitent à participer, à créer l'harmonie. Et ça fonctionne ! Le public s'exécute sans se faire prier et donne du clap avec bonheur.
Il y aura plusieurs standing ovation au cours de cette soirée, même si, pour autant, il conviendra de rester assis lors d'Annecy... Un peu frustrant quand même... Les standards dont Amoureuse, (of course!) sont accompagnés, dès les premiers instants, de gémissements de satisfaction venus de la salle et qui donnent le sourire à Véro. Elle se réchauffe le coeur de notre plaisir, et nous remercie de versions incroyables dont Sans regret, qui nous médusera par son mélange de violence et de douceur (pourvu que quelqu'un ait filmé!).
La scène est son territoire. Ses créations reprennent vie dans ces moments-là, parfois avec une certaine cocasserie. Ce soir nous avons ainsi eu droit à une longue intro pour Bernard song. La félicité de l'instant peut être... Quelle qu'en fut la cause, elle n'a tout simplement pas commencé à chanter, et a fait durer le plaisir.
Pétillante, joueuse, sur les titres qui invitent à se lever (Si toutes les saisons, La nuit se fait attendre, Drôle de vie et bien d'autres choses encore...) elle sait se montrer sombre et le regard noir lors d'un Juste pour toi magistral. Plantée sur le devant de la scène, les yeux perdus au loin, les mots glissent, au son du piano (et des clochettes que je n'avais pas remarquées lors des concerts précédents. Une nouveauté peut-être?).
C'est long c'est court viendra nous sortir de nos retranchements:
-
"ca va bien?
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Ouiiiii
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ah, vous m'avez fait peur!"
Je ne comprends pas pourquoi les gens ne se lèvent pas sur cette chanson... Mais il faut faire avec, au risque d'agacer le deuxième rang... A Aurillac je ne m'en inquiéterai pas...
Arrive la partie piano-voix. Vancouver, particulièrement applaudi et chanté, laisse place à la présentation de la troupe dans laquelle se cache un adepte du bugle paraît-il! A force d'entendre le nom de cet instrument je finis par espérer l'entendre pour de bon! Le défi est lancé....
Pour la seconde fois, elle évoque le moment où elle chantera seule au piano, "quand (elle) sera grande"...
Face au piano, vient le moment de Toute une vie sans te voir « je vais tenter de vous chanter quelque chose. Hier, je me suis vautrée, grave. On fait des blocages à la con parfois... ».
Le naturel dont elle fait preuve est rafraichissant. Après tout, nous sommes invités dans son salon! Le regard fixe, elle commence. Un ton trop bas ou un ton à côté, elle s'arrête, reprend aussitôt et offre une version déchirante. Assis au milieu du premier rang, j'oublie mes voisins. Mes pensées se perdent et ressurgit le souvenir de mon père. J'ai du mal à contenir mon émotion. Je suis transporté. Il y a des blessures qui, décidément, ne se fermeront jamais. Se libérer d'une partie de sa douleur, l'évacuer d'une manière ou d'une autre, permet paradoxalement de la limiter.
Heureuse d'avoir mené sa barque à bon port, soulagée d'avoir dépassé cet étonnant blocage, elle se retourne vers le public, debout. « Restez debout, non asseyez-vous », peu importe, et elle enchaîne avec Bahia que chacun chantera du début à la fin. Les voix résonnent forts dans le théâtre.
Tout cela n'est pas que du « zinzin », comme le chantait Barbara, mais bien plus.
Ces quelques mots sont venus se coucher de Genève à Lyon, entre forêt et escarpements montagneux sur la route d'Aurillac...